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Vonflie - Von Flüe

Dans le sillage du saint patron de la Suisse

C'est dans son village natal Munchhouse et entouré de ses parents que nous avons rencontré le dorénavant Strasbourgeois Gilles Vonflie. Voilà encore un trentenaire passionné qui a mis sa formation d'historien à profit pour remonter avec méthode le fil sinueux de sa généalogie. Pourquoi sinueux ? Eh bien, les Vonflie exerçaient dès le début du XVIIIe siècle une profession qui les menait de village en village : maîtres d'école ne possédant pas de terres qui les auraient sédentarisés, les ancêtres de Gilles étaient voués à de fréquents déménagements, brouillant ainsi sans le vouloir les pistes pour leur lointain descendant.

Jean Vonflie, son épouse Odile, née Didier, et leur fils Gilles constituent l'une des nombreuses familles Vonflie de Munchhouse. Photo Denis Dubich  

Rigoureux comme nul autre dans sa démarche, Gilles Vonflie a néanmoins dû patienter une dizaine d'années avant qu'enfin la chance lui sourie : c'est par hasard qu'il a retrouvé la première mention alsacienne de son ancêtre Carolus von Flieg, « Helvetus », Suisse, lors de son mariage en 1685 à Sigolsheim avec Barbara Dichler, une fille du village. Et puisqu'il était suisse, Karl von Flieg ne pouvait guère appartenir qu'à une seule famille de ce pays : les von Flüe, vieille lignée du coeur de la Confédération, que l'on connaît depuis le XIVe siècle par Heinrich von Flüe, Landamann d'Obwalden, et son épouse Hemma, née Ruobert, les parents d'un certain Klaus von Flüe né en 1417 et canonisé en 1947... La famille tirait son nom de la Flühe (aujourd'hui Flüeli) à Sachseln, terme désignant une paroi rocheuse.

Ludimagister

Carolus devint maître d'école à Sigolsheim en 1687, précédent dans ce métier son fils Simon qui fut « Ludimagister » ou instituteur à Nambsheim et surtout à Balgau où il passa treize années de sa vie. Ses descendants, également instituteurs, se déplacèrent entre Balgau, Nambsheim, Biltzheim, Mittelwihr, Jungholtz et même Durmenach.

L'histoire familiale prit en tournant quelques générations plus tard avec Philippe Vonflie (1789-1856) et ses frères François Joseph (1796-1849) et Laurent (1800-1858), tous fils de Laurent Vonflie (1755-1811) : ces frères devinrent maçons, les deux premiers à Balgau, le troisième à Munchhouse. C'est d'eux que descendent 95% des Vonflie de France.

Philippe est l'ancêtre de Marcel Adrien Vonflie (1893-1944), dont le père s'installa à Paris et dont le destin est particulièrement intéressant. D'abord représentant de commerce en 1913, il devint pilote de chasse en 1916, chevalier de la Légion d'Honneur en 1919, pilote en Indochine puis en AEF durant l'entre-deux-guerres et résistant durant la Seconde Guerre mondiale. Arrêté comme otage en 1944 par l'armée allemande, il fut exécuté entre Gérardmer et le Col de la Schlucht, à quelques kilomètres de la terre qui avait vu naître son père !

Laurent Jr., né en 1800, épousa Rose Weiss, d'Ensisheim, à Munchhouse où, dit-on, il était venu participer à la construction de l'église de 1829 (ravagée en 1944). Ses trois fils sont à l'origine des trois grandes branches munchhousiennes dans lesquelles le métier de maçon se perpétuera pendant plusieurs générations.

Suisse, aller-retour

Revenons à Simon von der Flieg (1700-1750), le premier maître d'école de la famille, pour faire la connaissance d'autres grands rameaux familiaux. Par son fils Johannes, également enseignant, nous arrivons à la branche américaine dont nous évoquons le parcours ci-dessous, ainsi qu'à une branche partie de Niederentzen à Neuenburg (Pays de Bade) où elle prit, au XIXe siècle, le nom de Vonflue (Fluh est bien la version allemande du suisse Flühe) avant d'émigrer en partie aux États-Unis. L'autre fils de Simon, François Joseph, est à l'origine de la branche de Soultz dont le nom évolua vers 1835 en Vonflieg. Et, bizarrerie généalogique, cette famille récemment éteinte à Soultz se perpétue aujourd'hui à Balsthal, dans cette Suisse d'origine des von Flüe, sous le nom de Vonflieg que n'aurait pas renié un certain Carolus von Flieg apparu en Alsace en 1685 !

Les descendants de saint Nicolas de Flue ?

Les Vonflie alsaciens auraient-ils pour ancêtre Nicolas de Flue ou l'un de ses collatéraux ? Si l'hypothèse se vérifiait, ils auraient là une particularité fort singulière et un lien étroit à l'histoire de la Confédération helvétique. Mais qui était cet autre saint Nicolas, le saint national suisse ?

Né en 1417, Klaus von Flüe, dont la famille tenait son nom de l'actuel Flüeli, une dépendance de la commune de Sachseln (Obwald), vécut tout à fait normalement parmi ses concitoyens, fit une carrière politique d'estime et eut plusieurs enfants avec son épouse Dorothea Wiss. Mais soudain, à 50 ans, Klaus, touché par la grâce, quitta sa famille, prit la direction de l'Alsace, le pays par excellence du mysticisme à l'époque, mais, arrêté par une vision céleste, se ravisa et revint sur ses pas. Rapidement, le bruit se répandit qu'il ne s'alimentait plus du tout : de partout, on accourut pour voir « le saint » établi dans un ermitage, la gorge du Ranft (Flüeli) qui dépendait du domaine familial des von Flüe. Il vécut là dans le plus strict ascétisme jusqu'à sa mort en 1487. Cette vingtaine d'années, contrairement à ce qu'il avait lui-même projeté, ne furent en aucun cas un retrait de la vie politique de Nicolas de Flue. Bien au contraire, son influence n'en fit que grandir, surtout en 1478, lorsque la Confédération connut une crise qui aurait pu mener à sa dislocation.

Nicolas de Flue compte à l'heure actuelle de nombreux descendants identifiés en Suisse. Il est tout à fait possible que nos Vonflie alsaciens, originaires de Suisse où le nom von Flüe est particulièrement localisé dans le canton d'Obwald, soient eux aussi ses descendants ou tout au moins issus de la même famille que lui. D'ailleurs, plusieurs membres de cette lignée sont apparus en Alsace au même moment que Carolus von Flieg, l'ancêtre des Vonflie, et tous venaient du berceau familial de la région de Sachseln, Sarnen et Flüeli-Ranft, à une quinzaine de kilomètres au sud de Lucerne.

America : rêve ou cauchemar ?

Plusieurs milliers d'Alsaciens émigrèrent aux États-unis au XIXe siècle. Les cantons de Cernay, Thann, Saint-Amarin et d'Ensisheim ont connu les plus grandes vagues d'émigration, les villages de Kruth, Fellering, Oberentzen et Niederentzen arrivant en tête. Au Texas, Henri Castro promettait des terres aux pionniers du vieux Monde, attirant vers ces lointaines contrées des Ahr, Bendele, Biry, Bluntzer, Brieden, Finger, Fillinger, Haby, Garteiser, Hutzler, Jacob, Karle, Kempf, Mann, Mathias, Meyer, Schmitt, Schrieber, Siebenhor, Trawalter, Tschirhart, Wipff, Zurcher... Plusieurs de ces familles comptent toujours des descendants aux USA, notamment à Castroville, au Texas. Marie-Jeanne Finger, de Niederentzen, notamment, n'a de cesse de cultiver le lien entre eux et l'Alsace.

Far West

Parmi ces émigrants, certains étaient originaires de Gundolsheim : ils s'appelaient Daller, Deybach, Gross, Thuet, Spony, notamment, et s'installèrent à Saint-Louis, la Nouvelle Orléans, Cincinnati, New York et Castroville.

François-Henri Vonflie se maria en 1813 avec Marguerite Ballmer à Gundolsheim où il s'installa. Leur fils Henri Jr., né en 1816, épousa Catherine Gross et leur fille Marie-Anne convola avec Romain Georges Gross ; les deux couples eurent des enfants. Les trois générations, soit neuf personnes, partirent fin 1848 aux USA, débarquèrent le 7 février 1849 à la Nouvelle Orléans et restèrent là pendant quelques mois avant qu'Henri Jr. n'achète un lopin de terre à Castroville. Lorsque Marguerite décéda en 1853, Henri Vonflie s'installa dans un ranch au sud de la ville où le destin le frappa une nouvelle fois deux ans plus tard : des Indiens le tuèrent par flèches ! Le cauchemar n'était pas fini pour autant, puisqu'une nouvelle attaque, en 1867, coûta la vie à son beau-frère Romain Georges et son fils Georges Gross âgé de 19 ans... De telles mauvaises rencontres n'étaient alors pas rares : les Alsaciens Benoît Weber, Xavier Galat, Vincent et Joseph Tschænn avaient déjà été massacrés à Castroville par les Indiens en 1849.

Henry III, fils d'Henri Vonflie Jr. et époux de Katherine Meyer en 1877, connut par la suite un destin digne d'un western : convoyeur de marchandises entre San Antonio et les grandes villes du nord du Mexique, il se fit construire une maison qui compte aujourd'hui parmi les demeures historiques de Castroville. D'ailleurs, Henry, le dernier Vonflie d'Amérique, est un héros local : son histoire fut publiée, notamment, dans le livre d'August Santleben « A Texas Pioneer », un cadeau fait à Gilles Vonflie par Margaret Simpson Meyer, de Houston, et faisant partie de la documentation offerte très gentiment par les amis américains de Gilles que sont Yvonne A. Ludwig, Steve Lapp et Patricia Salzman.

L'Alsacien Gilles Vonflie peut être fier de son méticuleux travail : après « frère Nicolas », les von Flüe, Vonflie et Vonflieg ont dans leurs rangs un « bénédictin » qui n'a reculé devant aucune difficulté pour donner une histoire, ou plus justement une grande Histoire, à son nom.

Denis Dubich

N.B. : une version plus longue, et plus richement illustrée de cette notice figure dans le volume II de Nos vieilles familles de Denis Dubich. Elle se prolonge par un encart sur saint Nicolas de Flüe. Pour découvrir ce livre, suivez ce lien.